Jésus parcourait toutes les villes et les villages ; il enseignait dans les synagogues, proclamait la bonne nouvelle du royaume et guérissait toute maladie et toute infirmité. A la vue des foules, il fut rempli de compassion pour elles, car elles étaient blessées et abattues, comme des brebis qui n’ont pas de berger. Alors il dit à ses disciples : «La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson[1] ».
Bien avant les paroles d’envoi des disciples après la résurrection pour poursuivre son œuvre de proclamation et être témoins jusqu’au bout de la terre, Jésus demande déjà de prier pour que des ouvriers soient envoyés dans cette grande moisson.
Elle ne l’est pas moins aujourd’hui. La détresse, le manque de repère, la non connaissance du Bon Berger par les foules de ce monde, sont autant de raisons pour nous remplir de compassion afin de continuer cette œuvre d’annonce de la Bonne Nouvelle en paroles et en actes qui les rendent visibles. Il n’est pas question d’apporter un petit mieux dans des existences blessées, mais d’introduire Celui qui est Le chemin, La vérité et La vie[2].
Les relations inter-Eglises et l’évangélisation sont, chacune à sa manière, l’histoire d’une invitation à table. Au-delà de la table de la Sainte Cène ou de l’Eucharistie que nous ne pouvons pas, pas encore, partager, l’Ecriture foisonne d’invitations à la table de Dieu. Dieu, Père ou Fils, prépare une table après les vallées sombres[3], un festin pour tous les peuples[4], un petit déjeuner pour des disciples en désarroi après avoir abandonné le Christ[5]…
L’icône de la Trinité de Roublev illustre, derrière la représentation de l’hospitalité d’Abraham, les trois personnes divines en communion les unes avec les autres autour d’une table. Voilà la Bonne Nouvelle des chrétiens : ce dessein du Dieu en trois personnes qui nous a créés, nous a laissé libres de le rejeter et nous a donné la possibilité d’être réconciliés et recréés dans le don du Fils. Tout cela pour nous inviter dans sa communion, à sa table. Une fois au bénéfice de cette vie nouvelle avec Lui, Il nous invite à la partager à notre tour. Cette Missio Dei est toujours celle de l’Eglise, des Eglises. Peuvent-elles aussi la vivre ensemble ?
Œcuménisme et évangélisation font partie de mon chemin de foi. Ma famille d’origine est catholique, mais à l’adolescence, c’est au travers du groupe de jeunes d’une Eglise Pentecôtiste que j’ai vécu une rencontre décisive avec le Christ vivant. Je lui ai alors confié ma vie, l’acceptant « comme mon sauveur et mon Seigneur » comme on le dit dans ces milieux. L’engagement dans cette Eglise s’est fait très naturellement, aussi en dialogue avec des membres de ma famille, notamment un oncle jésuite qui a compris, accueilli et béni par ses paroles ma démarche. Les chrétiens évangéliques sont particulièrement sensibles à l’appel de Jésus à être témoins partout et à faire des disciples de toutes les nations. Il se trouve, par ailleurs, que dans ma toute première Eglise, nous avions de belles relations avec des chrétiens catholiques ou réformés notamment au travers de la mouvance du Renouveau Charismatique qui se développait à l’époque. C’est sans doute cette double dimension de l’évangélisation et des liens avec des chrétiens d’autre confession qui m’a rendue particulièrement sensible à la prière du Christ pour « l’unité afin que le monde croie » en Jean 17.20-23.
Mais qui sommes-nous pour évangéliser ?
Nous pouvons parfois être saisis d’un sentiment d’indignité ou de peur. Nos sentiments de ne pas être à la hauteur, nos « qui suis-je pour oser faire cela ? » ont des précédents dès l’Ancien Testament : Moïse qui n’a pas la parole facile[6], Gédéon trop petit dans une trop petite tribu[7], ou Esaïe qui se sait impur[8] ou Jérémie trop jeune qui a aussi des problèmes pour s’exprimer[9]. Aucun de ces arguments n’a eu raison de Dieu qui a su répondre à chacun et les amener à le suivre.
Dans l’Evangile et le Nouveau Testament, j’oserais dire que Jésus, puis Paul par la suite, n’ont pas attendu nos tentatives de replis. Ils ont affirmé des aspects essentiels de notre identité de chrétiens pour la mission ! Nous sommes, entre autres, choisis par Jésus lui-même pour porter du fruit[10], être le sel de la terre et la lumière du monde[11], une lettre de Christ que les autres peuvent lire[12], une nouvelle créature[13], des ambassadeurs de réconciliation[14].
Je suis, comme chacun de nous, unique et Dieu m’invite à oser me laisser lire par ceux qui m’entourent, à prendre l’initiative du témoignage. Jésus nous demande d’aller jusqu’au extrémités de la terre, remplis de son Esprit[15].
Comment évangéliser ?
On aurait pu dire il y a quelques décennies que les différences étaient notoires à ce sujet en fonction de nos appartenances ecclésiales. En caricaturant un peu, Les évangéliques étaient ceux qui allaient dans les rues, organisaient des rallyes d’évangélisation à la manière de Billy Graham, distribuaient des tracts ou des Bibles et Nouveau Testament au risque d’être un peu brusques parfois et accusés de manque de respect. Les catholiques et les protestants réformés étaient plus de ceux qui privilégiaient des approches plus indirectes, favorisant un témoignage par le service concret, « l’enfouissement dans la pâte » avec un respect tel des convictions des autres que le risque était de ne plus oser une parole.
Les échanges entre Eglises et le souffle de l’Esprit ont transformé le paysage. Des formations au témoignage sont disponibles. Les cours Alpha sont organisés dans toutes les Eglises. Des catholiques partent à l’assaut des plages pour témoigner (Anuncio), alors que des évangéliques sortent dans les rues pour proposer un soutien concret et une écoute aux sans-abri sans forcément parler de Jésus ou distribuer des Bibles.
Nous pouvons ne plus être seulement dans la parole ou dans les actes mais dans l’interpénétration des deux qui se complètent et s’expliquent mutuellement. Cela rend le message plus cohérent.
On dit parfois que sur 100 personnes, une lira la Bible, et les 99 autres liront le chrétien.
Mme Anne Schweitzer , Eglise Evangélique Baptiste de Lyon. Permanente de l’association Agapé France
[1] Matthieu 9.35-38
[2] Jean 14.6
[3] Psaume 23.5
[4] Esaïe 25.6
[5] Jean 21.9-10
[6] Exode 4.1 ; 10
[7] Juges 6.15
[8] Esaïe 6.5
[9] Jérémie 1.6
[10] Jean 15.16. On peut voir le fruit ici de diverses manières : le fruit de l’Esprit qui est amour, paix, joie etc. (selon Galates 5.22), mais aussi le fruit de l’évangélisation comme le grain de blé qui se multiplie en disciples dans toutes les nations.
[11] Matthieu 5.13-14
[12] 2 Corinthiens 3.2-3
[13] 2 Corinthiens 5.17
[14] 2 Corinthiens 5.20
[15] Matthieu 28.18-20 et Actes 1.8